Au moment d’envisager faire escale à Istanbul, je relie le texte qui suit, écrit il y a tout juste deux ans. Les choses ont déjà beaucoup changé, mais la conclusion en hypothèse est déjà avérée.
Erdogan et son régime autoritaire, la volonté des Turcs d’acheter du matériel militaire russe et le référendum kurde en Irak. Tout se complique.
Il y a presque deux ans, j’écrivais le texte qui suit.
La mort d’Aylan (09-2015)
Et la poudrière turque
Le terrorisme en Turquie était prévisible et il pouvait venir autant de l’intérieur que de l’extérieur, et même de l’un ou l’autre des belligérants d’un conflit tout juste à la frontière avec la Syrie. En effet, les 15 % de Kurdes Turcs ne pouvaient accepter que l’état turc laisse ses frères du Kurdistan Syrien se faire massacrer par l’État islamique. L’ EI, pour sa part, ne pouvait qu’être hostile à ces musulmans « non arabes » et membres de cette OTAN qui la bombarde, entre autres avec des F16 américains basés en Turquie. Tout ça sans compter les intérêts russes et iraniens. En effet, dans ce jeu d’échecs d’autres grandes puissances, perturber cette Turquie qui accueille les F16 américains est sans doute de bonne guerre. Tout cela sans compter les vieilles blessures d’un génocide et les rivalités de confessions musulmanes importées d’ailleurs.
En septembre, quand j’ai vu les photos du petit Aylan mort sur une plage de Bodrum, je me suis senti plus concerné qu’à l’habitude. J’ai pensé que j’étais plus interpellé parce que j’étais sur cette plage quelques mois plus tôt.
Quand j’ai lu qu’Aylan était mort noyé avec son frère et sa mère en essayant de gagner l’île Grecque de Kos, si près pourtant qu’on la voit de cette même plage turque, je me suis souvenu de ma réflexion sous un arbre célèbre de cette île.
Au terme d’un séjour de deux semaines dans cette Turquie ayant frontière commune avec l’Iraq, l’Iran, l’Azerbaijan, la Georgie, la non moins significative Arménie et cette si problématique Syrie, j’étais certain que ce pays était une poudrière au calme et au charme trompeurs.
Que les quelque 15% de Kurdes de Turquie aient posé ou posent encore un problème d’unité nationale, il me semblait évident que la passivité turque, sans doute opportune, devant le massacre des Kurdes de la ville syrienne et frontalière de Kobane était intenable, même à court terme. Les voisins de l’ouest ne pourraient tolérer bien longtemps que la Turquie, prétendante à l’Europe, laisse l’État islamique massacrer les Kurdes de Kobane. Toute l’OTAN, dont fait partie la Turquie comme deuxième armée en termes d’effectifs, est en effet impliqué dans des interventions militaires contre l’EI.
Mais la Turquie devait tôt ou tard se résoudre à faire plus ouvertement la guerre à l’EI pour une autre raison encore. Elle est en première ligne pour accueillir les réfugiés syriens. Depuis trois ans, ce sont plus de deux millions de réfugiés qui sont entrés en Turquie. Le flot submergeant des réfugiés a en effet eu raison des états les plus généreux. Le problème du nombre commence à peser du côté d’une solution visant à arrêter la saignée à la source, en territoire syrien. Là encore, la Turquie sera au premier rang.
Entre une implication de plus en plus grande dans le conflit syrien ou la guerre obligée à l’EI; entre les tensions interconfessionnelles internes, elles-mêmes potentialisées par cette implication et les tensions interculturelles avec la frange kurde qui sont de plus en plus manifestes, ce ne sont peut-être pas seulement les barques de réfugiés qui chavirent au large de Bodrum, c’est peut-être le calme charmant et touristique de toute la Turquie qui coule à pic, autant que son rêve européen qui fait naufrage.
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En à peine deux ans, tout c’est effectivement compliqué et, si le rêve européen des Turcs a fait naufrage, c’est maintenant le rêve européen lui-même qui prend l’eau.