Les médias sociaux peuvent certainement être un prolongement des relations, mais ne peuvent en aucun temps y suppléer.
C’est ce qui a fait dire à certains chercheurs que Facebook n’était pas dommageable pour ceux qui avaient de bonnes capacités relationnelles puisqu’ils n’utilisaient pas beaucoup Facebook, et plutôt néfaste pour les autres, devenant même une illusion de performance sociale pourtant jamais comblée.
La mécanique addictive de Facebook est suffisamment efficace sans qu’il soit nécessaire de sombrer dans sa dérive sémantique. Qu’est-ce qu’un ami ? Que veut dire «j’aime» dans un contexte de potins inutiles ou anodins ?
Voilà ! La confusion est totale ! Vous dites que vous communiquez parce que vous êtes connectés à quelques centaines de personnes ? Et vous ne pouvez résister au fait de mettre en scène votre propre personnage à propos de tout et de rien. Êtes-vous enfin quelqu’un à travers ce personnage ?
La mécanique addictive est simple pourtant ! Dès qu’un petit besoin se fait sentir, un mal-être quelconque, une émotion trouble, légitime ou pas, un peu de détresse ou de solitude, hop ! Vous connectez cet instantané nécessairement fugace et réactif à des centaines de personnes et ça y est, vous êtes quelqu’un; vous avez une existence; une vie; un rôle, une histoire ! Mais ce n’est jamais suffisant, jamais assez pour combler le vide, alors vite une autre petite dose et un autre petit soulagement encore très temporaire.
Rapide, mais totalement inefficace à satisfaire ce besoin d’être et de s’affirmer, d’être. La satisfaction est immédiate mais de courte durée. Il faut recommencer encore et encore et de façon de plus en plus compulsive.
Non ! Vous n’avez pas d’amis si vous avez trop d’« amis Facebook » ! Ce serait même plutôt le contraire, et il y a pire encore une fois que vous êtes accrochés.
Vous mettez sur Facebook un instantané. Vous donnez forme à un matériau non traité par la raison et vous le mettez en mots, et ça devient votre réalité, et vous êtes pris avec toutes ces photos de vous qui vous embrigadent dans un scénario qui aurait été tout autre si vous aviez assumé la réflexion plutôt que l’expression spontanée ; si vous aviez assumé un moment de solitude et de réflexion au lieu de diluer tout ça dans une mer d’« amis Facebook »!
Je pense à cette femme qui, suite aux infos, appréhendait que son conjoint ait tué ses enfants en se suicidant … Elle est allée directement sur facebook pour dire à l’univers qu’elle capotait à cette idée … en attendant les policiers. Avait-elle quelqu’un de significatif à qui elle aurait voulu parler ?
Et cet autre qui a failli se faire tuer à Aurora ! De sa civière à l’urgence de l’hôpital il mettait rapidement en ligne la photo de son t-shirt ensanglanté. Sacré moment de recueillement raté sur le sens de la vie !
Et il a dû en recevoir des «j’aime» !
Et puis je pense aussi à ceux qui écrivent en espérant produire un effet qu’ils seraient incapables de produire directement chez les autres …
Quel théâtre ! Quelle tristesse!
Entre voyeurisme et exhibitionnisme, que de gens seuls !
Mais Facebook pourrait aussi être un formidable instrument de partage de la réflexion critique, de notre coéducation, de notre co-développement !
Une vie sans examen ne mérite pas d’être vécue … disait quelqu’un qui n’a jamais eu de compte Facebook.
Encore une fois, et pour finir, Facebook est un vecteur, un prolongement, un moyen, mais certainement pas la communication. Et, s’il fallait en rajouter, on pourrait parler de toutes ces situations ou l’illusion de l’intimité facile et parfaite a contribuer à désincarner une réalité imparfaite, certes, mais vraie.
Et si jamais je suis trop présent sur Facebook, ou si j’écris autre chose qu’une réflexion, devenez vite, vite un vrai ami, parce que j’en aurai vraiment besoin.
À ceux que je blesse par cette réflexion critique, heureux que vous ayez pris le temps de lire plus de quelques caractères. Bravo ! Vous êtes déjà sauvés !