Julie a 22 ans. Elle vit en couple, mais n’est peut-être pas vraiment en couple ailleurs que sous sa photo de profil.
Julie passe un temps fou à gérer son Facebook, au point, d’ailleurs que c’est devenu une véritable obsession, selon son chum. Elle fouine même la vie affichée des autres jusque dans l’intimité d’un moment à la salle de bain. Ce jardin secret, dont elle refuse l’accès à son chum, est pourtant partagé par l’univers tout entier qu’elle voudrait pour ami.
Plus seule que ses 1100 quelques amis ne pourraient le laisser croire, sous le coup d’un impérieux besoin, Julie vient de publier … « Mon cours de psychopathologie est plate à mort … je vais marcher par moins 20 degrés pour rentrer chez moi ».
À qui vient-elle d’écrire ? Ses centaines de lecteurs existent-ils ce soir ? Seront-ils informés, concernés. Intéressés ?
Bon ! Le texte n’était pas génial, mais Julie a montré qu’elle était bien en vie et demain, dès son lever, elle partira pour un week-end de ski avec des copines. Là ! Attention ! Les selfies vont pleuvoir et ce sera une vie de rêve publiée en directe, ou presque … à moins que tout ça n’ait été pré enregistré ! Pourquoi ne pas pervertir un peu la réalité, après tout ? Qui saura que le vin annoncé comme étant « un délicieux grand cru pour se réchauffer après la descente » sera du vin d’épicerie versé après avoir troqué son pyjama pour son kit de ski… à 16h32. Juste à temps pour la photo.
Oh! Martin Lander aime ! Et Stéphanie Lajolie aussi.! Au fait, c’est qui ceux là ?
Julie passe un temps fou à gérer son Facebook, comme si c’était son emploi de gérer l’image publique de la vedette qu’elle croit être de temps à autre et c’est à peine une fiction à ses yeux, tellement la fiction est puissante, souvent. Trop souvent peut-être ?
Julie semble plus investie dans le personnage qu’elle a créé, qu’elle peint et repeint selon ses envies. Normal qu’elle préfère ce personnage à elle-même.
Être vu, mais pouvoir gérer cet « être vu » peut être grisant, mais combien déréalisant. Et pour que marche cet exhibitionnisme que Julie ne reconnaît pas, il faut que chacun des amis joue de temps à autre le rôle de voyeur.
Julie passe un temps fou à gérer son Facebook. Entre deux paragraphes de son manuel de de victimologie, elle prend le temps de mettre à jour son statut : « Longue soirée d’étude… pu capable, ça fait trois heures !! » Ça fait trois heures qu’elle est assise devant son ordinateur, le manuel encore à la page 17. Les photos de la nouvelle garde-robe d’hiver de Carine Jetté, l’histoire de la contravention de Hubert Legrand, le rhume de Coralie Lie, l’album de 84 photos de bébé naissant de… c’est quoi son nom déjà ? Le temps passe…
Ce soir Julie est seule à l’appartement et elle ne sait pas où est son chum. Elle consulte son Facebook et après avoir parcouru le profil de son chum afin de voir si elle pouvait obtenir réponse par une géolocalisation dans un bar branché, elle se découvre bien plus intéressée à savoir combien de personnes ont aimé les nouveaux éléments de son profil, que de consulter le profil médiocre de certains. Il faut dire qu’elle vient de démarrer l’enregistrement fait plus tôt d’une téléréalité très intimiste aux allures pseudo-documentaire, car il faut l’admettre, si on n’avoue pas facilement son exhibitionnisme, on peut facilement légitimer son voyeurisme.
Un nouveau clic sur pause, le temps de vérifier cette alerte entrée sur Facebook. Ce n’était qu’un « j’aime ». Un nouveau clic sur play. Elle écrira bien quelques chose sur cette téléréalité un peu plus tard. Bonne nuit Julie !